jeudi 6 février 2014
lundi 3 février 2014
POUR UN MONDE MEILLEUR: Le LEADERS TAHAR SFAR CO-FONDATEUR AVEC BOURGUIBA ...
POUR UN MONDE MEILLEUR: Le LEADERS TAHAR SFAR CO-FONDATEUR AVEC BOURGUIBA ...: UN ETUDIANT QUI SORT DE L'ORDINAIRE 1903_1928 TERENCE : « RIEN DE CE QUI EST HUMAIN NE M'EST ETRANGER... » C'...
POUR UN MONDE MEILLEUR: Le LEADERS TAHAR SFAR CO-FONDATEUR AVEC BOURGUIBA ...
POUR UN MONDE MEILLEUR: Le LEADERS TAHAR SFAR CO-FONDATEUR AVEC BOURGUIBA ...: UN ETUDIANT QUI SORT DE L'ORDINAIRE 1903_1928 TERENCE : « RIEN DE CE QUI EST HUMAIN NE M'EST ETRANGER... » C'...
Le LEADERS TAHAR SFAR CO-FONDATEUR AVEC BOURGUIBA DU PARTI TUNISIEN NEO-DESTOUR FUT DE 1925 à 1928 UN ETUDIANT EXCEPTIONNEL.
UN ETUDIANT QUI SORT DE L'ORDINAIRE
1903_1928
TERENCE: « RIEN DE
CE QUI EST HUMAIN NE M'EST ETRANGER... »
C'est dans une presqu'île merveilleuse de la côte est de la Tunisie,
dénommée depuis la nuit des temps « Cap-Africa » et sur
laquelle fut édifiée la première capitale de la dynastie musulmane des
Fatimides, Mahdia, que naquit mon père un 12 novembre de l'an 1903 dans une
famille dont les origines remontent à la première vague d'occupation ottomane et qu'on pouvait considérer comme appartenant
à la classe moyenne selon la signification et les caractéristiques actuelles de
cette catégorie sociale.
Mon grand père Mustapha
notaire, à l'époque, bien connu et respecté dans sa ville, choisit pour son
deuxième fils le prénom de Tahar, « le pur », après
avoir donné la préférence pour son aîné celui de Sadok « celui
qui dit la vérité » respectant ainsi
une symbolique qui mettait en exergue dans le choix des prénoms les
valeurs sociales qu’on souhaitait promouvoir dans la communauté.
La famille Sfar, tant sa
branche « tunisoise » que sa branche « mahdoise »
serait – selon les informations recueillies auprès de mon grand-père maternel
Mohamed Sfar - la descendante d'un officier d’origine macédonienne de l'armée
turque (l'équivalant d'un général de corps d'armée ) qui fit partie des
premiers officiers de l'occupation ottomane et qui fut en garnison pendant
quelques temps à Tunis, où il contracta un premier mariage avant d'être affecté
à la défense de la ville de Mahdia où il
résida le plus clair de sa vie, contractant d'autres mariages avec des femmes
du pays et effectuant des missions de pacification ou de reconnaissance sur
l'ensemble du sud tunisien plus particulièrement, avec semble t-il, des
incursions jusqu'en Tripolitaine (actuelle Libye) où il aurait guerroyé avec succès.
L’historien tunisien Ahmed Ibn-Abi-Diaf , dans son célèbre ouvrage « Ithaf Ahli
azaman » achevé en 1872, signale parmi les péripéties sanglantes et les
querelles pour le pouvoir des premières années de l’occupation de la Tunisie
par les troupes ottomanes, la rivalité qui a opposé « Othman Dey »
prétendant au pouvoir dans la capitale à « Sfar Dey » aux
alentours de l’année 1591.( Deuxième partie du Tome I, page 28 de l’édition
du Ministère tunisien des affaires culturelles préfacée par le Ministre de la
culture A. Hermassi.)
Les familles Sfar sont nombreuses dans la ville
de Mahdia, à tel point, qu'il a fallu ajouter un deuxième nom pour distinguer
des familles dont le lien de parenté précis avait disparu tant de l'état civil
que de la connaissance des anciens généalogistes.
J’ai gardé des souvenirs
d’enfance très vivaces notamment de mon
grand-père maternel, Mohamed Sfar, notaire également de profession, qui,
parfois sans s'en rendre compte, se laissait aller à grommeler en prononçant
quelques mots en langue turque, quand, enfants turbulents, nous finissions, mes
cousins et moi, par le mettre hors de lui par notre tintamarre en jouant dans
la cour de sa maison de Rédjiche, dans la banlieue de Mahdia.
Mon grand père paternel
Mustapha, formé exclusivement à l'Université Zaytuna de Tunis était comme la
grande majorité des tunisiens à l'époque
très attaché à nos traditions arabo-musulmanes, ce qui l'a amené à veiller,
souvent avec sévérité, à donner à ses enfants une éducation respectueuse des
valeurs que la communauté des « Mahdois » considérait devoir être
celle de l'honnête homme,citoyen modèle pour la Cité. Il a tenu à apprendre
lui-même, à ses sept enfants (quatre
garçons et trois filles ) les premières « sourates » du Coran
avant de les inscrire dans le « Kuttab » du quartier, petite
salle jouxtant la salle de prière d’une petite mosquée, et qui faisait office
d'école maternelle. Le répétiteur ou « Muadib » de Tahar Sfar
au « Kuttab » fut le cheikh Hassen Fodda, une personne de
solide culture islamique qui habitait dans la même rue que celle où se trouve
la maison de mon grand-père.
Ma grand mère « Aïcha »,
dont l'origine est également turque (elle
est née d'une famille dénommée jusqu'à ce jour « Turki »),
avait un don particulier pour raconter à ses enfants, puis à ses petits enfants
les versions pudiques des comtes des "milles et une nuit" les faisant vivre ainsi un
monde merveilleux et contribuant, sans le savoir, à développer en eux la
faculté du rêve et celle de l'imagination créatrice.
A l'école primaire « franco-arabe »
de l'époque mon père sortant d'un cocon familial très protecteur a eu, semble
t-il, quelques difficultés d'adaptation dans un nouvel univers où il
découvrait, pour la première fois, les contradictions entre les messages
éducatifs inculqués par ses parents et la réalité des comportements humains,
même dans celle du monde de l'enfance. Il a eu la chance d'avoir parmi ses
enseignants à l'école le Cheikh Mohamed Abdessalem, le père de M Ahmed
Abdessalem qui fut le premier recteur de l'Université de la Tunisie
indépendante. Cheikh Mohamed Abdessalem qui enseignait à l'époque surtout
"l'éducation islamique "expliquait déjà à ses élèves que l'Islam
était avant tout tolérance ,ouverture d'esprit, encouragement à la maîtrise du
Savoir,et attachement à une éthique porteuse de Valeurs Universelles;déjà il
avait le courage de dire à ses élèves que
l'islam devait constamment faire l'objet de réflexions des
"Fakihs" pour l'adapter à l'évolution de la société et notamment au
progrès de la science.Plusieurs générations de Mahdois transitant par l'école
primaire de Mahdia,sont redevables au Cheikh Mohamed Abdessalem de cette foi
sereine et tolérante, de cette très forte conviction en une impérieuse
nécessité de recourir à "El-Ijtihad" pour que l'Islam ne devienne pas
un prétexte à l'archaïsme , au sous développement , à l'asservissement de la
pensée et au fanatisme.
Tahar Sfar ne s'est révélé à
l'école que tardivement nous,ont rapporté, certains de ses instituteurs et de
ses camarades de classe , et ce n' est qu' en année terminale de l'école primaire de Mahdia que,Tahar Sfar
s'est brusquement distingué par ses bons résultats scolaires: Aussi c'est avec
panache qu'il accéda à la première année
de l'enseignement secondaire du Collège Sadiki où il effectua un cursus
remarquable se faisant attribuer dans
les différentes matières enseignées des Prix d'honneur. Après le Diplôme de fin
d'études du Collège Sadiki, Tahar Sfar a été inscrit au Lycée Carnot de
Tunis à la première année du
baccalauréat. Sa maîtrise de la langue arabe et celle de la langue française
s'affirmèrent davantage et sa grande passion pour la lecture des grands maîtres
tant de la pensée arabe que française
lui fit découvrir précocement la grande richesse des idées qui agitaient les
élites du Monde. Cela fut possible particulièrement grâce aux facilitées qu'il
a obtenu auprès de la bibliothèque nationale et de la bibliothèque de
l'Association la Khaldunya toutes deux au souk El Attarine.
Tahar Sfar quitta le lycée Carnot un an avant Habib Bourguiba, avec un
baccalauréat série philosophie et, malgré sa participation à un voyage d'études
et de sensibilisation à Paris sous la conduite de ses professeurs du lycée et
nonobstant les recommandations unanimes de ses maîtres pour continuer ses
études à la Sorbonne, il répond au désir de mon grand-père et accepte la
proposition qui lui était faite, à sa sortie du lycée, d'assurer la direction de l'Ecole "El-Arfania"à
Tunis, rue El-Ourghi, pour y engager de profondes réformes.
Il s'agissait d'une école libre crée par la Société Musulmane de
Bienfaisance et dont certains membres
éminents du conseil d'administration, comme, Taïeb Radouane et El-Arbi Mami,
n'étaient satisfaits ni des résultats scolaires ni de la gestion administrative
et financière. Un des principaux membres de ce conseil, Si El-Arbi Mami (le parent où peut être même le père du
martyr le docteur Abderrahmen Mami qui fut assassiné par la "main
rouge" pendant les années 1950) une personnalité très estimée à la Marsa,
ami de mon grand père Mustapha et qui fut une sorte de correspondant très
attentionné pour mon père pendant ses études à Sadiki et à Carnot à telle
enseigne qu'il le considérait comme son fils, influa plus particulièrement sur
lui, pour achever de le convaincre de répondre favorablement à cette
sollicitation qui lui permettait de mettre en pratique ses idées sur la réforme
de l’enseignement.
Tahar Sfar pensait déjà à
l'instar de la grande majorité des intellectuels tunisiens de l'époque, que
l'avenir de son Pays passait par le développement d'une éducation
"moderne" auprès de toutes les couches de la population, il était
plus particulièrement influencé par la pensée et les idées du visionnaire
"Ibn Khaldoun" sur l'éducation ,la formation ,les
sciences et les déficiences de l'enseignement dispensé, en son temps dans le
monde musulman ; il accepta de sacrifier momentanément la poursuite de ses
études supérieures pour diriger l'école libre El-Arfania et mettre ainsi en
pratique ses idées sur les réformes de l'éducation. Dés le premier trimestre de
l'année scolaire les principaux membres du conseil constataient avec
satisfaction les changements intervenus et les progrès réalisés à l'exception
de ceux qui trouvaient peut- être leurs comptes dans les errements de
l'ancienne gestion et qui ne manquèrent pas de tenter une cabale contre celui
qui apportait de la transparence notamment dans la gestion financière de
l'établissement. Cela fut l'occasion pour mon père d'être confronté, pour
la première fois de sa vie, à
l'ingratitude des partisans du statut-quo.. Cette cabale fut également
l'occasion pour les
"réformateurs", qui ont fait appel à mon père, de rédiger et d'éditer
un petit fascicule en langue arabe ayant pour titre "Pages blanches et
pages noires", explicitant l'intérêt des actions engagées avec
succès à la satisfaction quasi-générale,
même celle des élèves et cela malgré les efforts supplémentaires que leur
demandaient les nouveaux programmes d'enseignement. L’appui des membres
consciencieux du conseil permit à Tahar Sfar de surmonter sa première déception
dans la vie et de mener à terme son action de mise en place et de démarrage des
mesures d'assainissement et de modernisation."Nulle décision, nous dit
André Démeerseman dans son livre sur Tahar Sfar, n'est plus révélatrice du
désintéressement fondamental et du besoin de dévouement de Tahar Sfar...Se
voyant encouragé dans son dessein par des hommes qui appréciaient sa double
culture et sa science pédagogique, ce jeune homme de 19 ans se révéla un
directeur d'école étonnant. Avec un instinct sûr, il soigna les plaies de
l'organisation: niveau culturel des instituteurs, administration, programmes et méthodes.
Des instituteurs, il exigea
les connaissances, les diplômes (Pour les instituteurs par exemple: le tatwie,
le diplôme d'études secondaires de la Grande Mosquée ou le baccalauréat) et la
valeur morale. Il leur garantit en contre partie un traitement convenable.
Jusque là, à cause de la modicité de ses ressources et de son orientation vers
l'aide matérielle, la Société de bienfaisance avait cherché des
instituteurs"à bon marché". Des élèves, il réclama un effort de
pensée personnelle et leur imposa un programme de langue arabe (langue,
littérature, coran, exégèse, hadiht), de langue française, de sciences
positives. Bref il mit en jeu les ressources inépuisables de son talent. Tahar
Sfar se maintint à sa place de directeur jusqu'en juillet 1924.Le 24 février,
il présentait un rapport qui eut un certain
retentissement; mais il ne tarda pas à donner sa démission, parce qu'il ne
jouissait plus de la liberté nécessaire à sa fonction...Au total, le bilan
était loin d'être négatif: cette expérience de dévouement librement choisie lui
avait permis de mieux tracer sa voie."Nous
pouvons ajouter ,à ce que dit Demeerseman, que les idées Ibn Khaldoun et ses
nombreuses réflexions sur le système éducatif ont été d'un grand secours pour
Tahar Sfar dans cette mission de formation, lui qui aimait lire et relire ce philosophe
arabe du XIVe siècle qui fut bien en avance sur son temps et qui, par notamment
ses réflexions pédagogiques et méthodologiques, contribua à développer cette
prise de conscience collective des élites tunisiennes dans l'importance d'une
éducation rationaliste et ouverte sur la science et la culture.
Avant de se rendre à Paris, Tahar Sfar ne se limite pas à ses activités éducatives,
il participe également avec Mohamed Lasram et Mustapha Kaak à la réactivation
de l’Association des Anciens de Sadiki et à la création en mars 1924 avec
Mhamed Ali El-Hami, Tahar Haddad et Habid Jaouahdou de la première coopérative
tunisienne dont il rédigera les statuts….
Conseillé ,toujours, par ses professeurs-qui
avaient déjà recommandés depuis 1922 de l'envoyer en France ,avec une bourse du
Collège Sadiki,- et très encouragé par Habib Bourguiba,qui était déjà à Paris
depuis 1924,Tahar Sfar finit par se rendre à Paris en Novembre 1925, pour suivre aussi bien les
cours de la licence en littérature française que ceux de la licence en droit
ainsi que les cours de l’Ecole libre de Sciences Politiques.
Rien ne vaut la lecture des
souvenirs de Tahar Sfar rédigés pendant son exil, en 1935, dans le Sud tunisien
à Zarzis pour restituer au lecteur l'état d'esprit et la psychologie de cet
étudiant pas ordinaire qui a su mener à bien des études assez diversifiées et nourrir sa grande passion
pour des lectures très éclectiques tout
en livrant libre cours à son penchant naturel pour la méditation et même on
peut le dire pour la rêverie, tout cela
avec des activités politiques qui se dessinaient déjà à travers sa
participation aux travaux préparatoires du groupe constitutif de l'Association
des Etudiants Musulmans Nord- Africains « AEMNA »,- dont il fut le
premier vice-président- et à travers son assiduité aux nombreuses conférences
de caractère politique, économique et culturel dont foisonnait le Quartier
Latin: "Assis sur un tertre couvert de verdure, de fleurs jaunes et de
coquelicots écarlates (il s'agit de la campagne de la ville de Zarzis) ,je
me suis amusé à faire naître mes souvenirs de vie parisienne;nous raconte
Tahar Sfar, je me rappelais, nous dit‑il, mes longues promenades le
long des boulevards (Sébastopol,Observatoire,Denfert-Rochereau,etc...), mes rêveries au jardin du Luxembourg, au
jardin des plantes, au Parc Montsouris, les noms des hôtels que j'ai habités
tour à tour ,leur situation, la position de la chambre que j'occupais dans
chacun de ces hôtels, la disposition du mobilier dans ces chambres, mes voyages
à Versailles, au Bois de Boulogne, à Antony ,à Bourg la Reine, à Robinson, mes
flâneries dans les rues, mes visites aux musées, mes veillées aux cafés de
Montparnasse. A Paris j'étais partagé entre l'étude et la flânerie;je vivais
constamment dans l'air surchauffé des bibliothèques (Faculté de Droit, Sciences
Politiques, Sainte Geneviéve, etc..)ou dans l'atmosphère des rues et des
routes;il m'arrivait souvent la nuit de traverser Paris ,de marcher dans cette
grande ville, au hasard, sans but, sans destination ,sans itinéraire ,passant
des rues étroites et obscures aux grands boulevards étincelants de
lumière ,pleins d'une foule bruyante, du bruit strident des véhicules, Quand il
fait beau temps ,ce sont de longues promenades au dehors, dans la banlieue, en
pleine campagne ,ou au milieu des chantiers ouvriers. Mes changements fréquents d'hôtel m'ont
permis de connaître différents quartiers, différents modes d'existence. Je ne
détestais rien de plus que de passer mon temps dans un café ou un dancing; quand
je n'étudiais pas, j'aimais à me promener, à marcher; et très souvent, il m'est
arrivé d’étudier, de réviser mes cours en marchant, au milieu de la cohue et du
bruit de la rue." Un peu plus
loin Tahar Sfar nous cite le mon des hôtels et l'adresse des chambres où il a
séjourné: «A Antony et à Bourg la Reine avec ses camarades Bahri Guiga et
Aloulou, à la Cité Deutsch de la Meurthe où il occupe la chambre libéré par son
camarade Habib Bourguiba.
Tahar Sfar exilé à Zarziz au sud tunisien en janvier 1935
Sfar est enveloppé d’un burnous et est entouré des membres du 3eme
bureau politique du Néo-Destour venant lui rendre visite de Tunis.
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.On voit, nous dit toujours Tahar Sfar, que outre mes pérégrinations et
promenades mes études me transportaient de
la Faculté de Droit, à la Faculté des Lettres, Place de la Sorbonne, et
de celle-ci à l 'Ecole des Sciences Politiques, Boulevard Saint-Germain, rue
Saint Guillaume; j'allais aussi quelquefois, au cours de la 3e année, à l'Ecole
des Langues Orientales."Mes distractions furent, outre les promenades, le
théâtre et quelquefois le cinéma;j'ai assisté à des représentations de la
Comédie Française,du Claye, du Théâtre de la Renaissance, de l'Ambigu, du
Théâtre des Variétés de l'Odéon, du Gymnase et
de quelques autres théâtres;jamais je n'ai mis les pieds dans un dancing ou un
casino ,sauf une seule fois au Moulin Rouge...;je regrette de ne pas être allé
aux Folies Bergères, où , dit-on, il y a des spectacles ravissants".
A Paris, Tahar Sfar hésita pendant sa première année universitaire
entre une carrière de professeur de lettres et de philosophie, qui semblait
mieux correspondre à sa vocation naturelle, à ses dons pédagogiques innés et à
sa passion intense pour la lecture, et une carrière dans le Barreau, où le
métier d'avocat lui offrirait plus d'occasions d'être en contact avec le vécu
quotidien de ses concitoyens, et d'être également plus disponible, et mieux
préparé à un combat dont il entrevoyait déjà les prémisses et esquissait avec
Bourguiba les grands axes, mettant déjà
l'accent sur l'importance de l'exclusion de
l'utilisation de la violence en politique ,et essayant, aussi, de tirer
des leçons des efforts de tous ceux qui les ont précédé dans la voie des
réformes et de la lutte politique pour le rétablissement de la souveraineté de
la Tunisie. On retrouvera les traces de cette conception des modalités de la
lutte dans certains des nombreux articles que publiera Tahar Sfar de 1931 à
1938 notamment dans" La Voix du Tunisien" d'abord, dans "L'Action
Tunisienne" ensuite:
A titre d'exemple citons d'ores et déjà ces deux extraits assez
significatifs:
-
sous le
titre "La Souveraineté Tunisienne", Tahar Sfar nous dit
"...Le monde, certes, n’est pas gouverné par la Raison et par la
logique, et ici comme en beaucoup d'autres choses, ce sont les forces en
présence qui ont déterminé l'évolution du protectorat et qui ont imprimé aux
institutions tunisiennes leur véritable direction. Par les textes aussi bien
que par la pratique quotidienne,la souveraineté a été amputée de ses attributs
essentiels et vidée pour ainsi dire de sa propre substance; de multiples
atteintes lui ont été portées, soit d'une manière nette et précise à la suite
de lois qui consacrent de véritables amputations, soit d'une façon insensible
et progressive par le phénomène de l'usure des institutions tunisiennes et leur
dépréciation....Et il appartient alors au peuple protégé, conscient de ses
droits, d'élever la voix, pour rappeler à la nation protectrice ses engagements
et lui demander de veiller à l'application des traités qu'elle a promis
solennellement de respecter."
-
-Sous le titre encore de "La Souveraineté
Tunisienne en Droit".Tahar Sfar, nous dit aussi, en citant des
juristes français:" En ce qui concerne la Tunisie,si l'on se rapporte
aux deux traités du 12 mai 1881 et du 8 juin 1883,on constate qu'en droit,
l'autorité de la puissance protectrice est des plus restreintes et qu'elle ne
s'exerce que sous une forme très atténuée, le Traité du Bardo laissait au Bey
son entière autorité au point de vue intérieur, et le
Traité de la Marsa
n'est venu la modifier qu'en la limitant par le droit accordé à la France de
mettre en oeuvre les réformes qui lui paraîtraient utiles, mais avec
obligatoirement, l'assentiment du Bey.. »
Dés la fin de la première année
universitaire,( juin 1925) Tahar Sfar optait pour une carrière dans le barreau tout en
n'excluant pas, pour le futur, l'enseignement surtout du Droit et de l'Economie
Politique .Il nous dira plus tard dans ses mémoires d'exil à Zarzis :"En
m'analysant assez profondément, il me semble que je suis composé d'une
personnalité double et juxtaposée ,l'une éprise de vie rangée, concentrée,
méditative, amoureuse de solitude, de calme, de recueillement; l'autre au
contraire emportée par la fièvre de l'action, pleine d'ambition ,prise par le
désir de bâtir, de vivre d'une vie intense, de s'étourdir par l'activité
débordante, les relations, les fréquentations, de se multiplier et de se
diversifier en mille nuances et de mille manières. Et tour à tour dans mon
existence passée, soit à Mahdia, soit à Tunis, soit en France, j'ai été l'une
et l'autre de ces personnes-là".
Habib Bourguiba ne nous a pas
parlé des idées et de la vision pour
l'avenir de la Tunisie dont il avait largement débattu avec son camarade
d'études et surtout pas des différences notoires entre leurs deux personnalités
et cela, nonobstant, la profonde connaissance qu'il avait de la pensée et de
l'itinéraire intellectuel de celui qui resta son fidèle ami dans l'adversité
même lorsqu'il ne partageait pas certains de ses choix, ou certaines de ses initiatives: Tahar Sfar,
pour sa part, a souvent signalé à mon
grand père Mustapha que Bourguiba semblait,
pendant la période de leurs études du moins, apprécier la confrontation
libre des idées et qu'il se disait complètement
d'accord avec lui pour faire en sorte que le combat politique qu'ils comptaient
entreprendre ensemble devrait être une occasion privilégiée pour l'enracinement
de mentalités propices au développement d'une authentique démocratie dans une
Tunisie maîtresse de son destin; et ce n'est pas sans raison profonde que Tahar
Sfar avait introduit son discours
d'ouverture du Congrès constitutif du "Néo-Destour"à Ksar-Helal en
1934 en insistant sur le caractère fondamentalement démocratique que doit
revêtir l'action du nouveau parti « à l'instar des partis
réellement démocratiques de certains pays occidentaux ».
A ce stade de notre narration,
nous pouvons souligner déjà, qu'Edgar Faure rapporte dans ses mémoires (tome
2 pages 192 et 194) que lors de la première audience qu'en tant que chef du
gouvernement français il accordait à Bourguiba un jeudi du 21 avril 1955,
l'entretien avait commencé par une
introduction dont Tahar Sfar était le centre. "Notre conversation,
nous raconte Faure, trouva d'emblée son point d'harmonie: nous avions, l'un
et l'autre, fréquenté à la même époque la faculté de droit de Paris,
quoique avec un certain décalage entre nos années de scolarité;...je lui parlai
de son compatriote Tahar Sfar qui collectionnait les prix dans les concours de
fin d'année où je récoltais d'honorables
accessits. Tahar Sfar n'avait pas retrouvé dans sa carrière professionnelle le
rythme bondissant qui l'avait soulevé dans ses études. Avocat à Tunis, il y
végétait car les grandes causes vont dans,
les cabinets français.".
Nous nous souvenons, tous,
jeunes et adultes tunisiens, à l'époque, de cet entretien historique du 21
avril 1955 à Paris entre E. Faure. Chef du gouvernement français et H Bourguiba
chef du Néo-Destour;entretien destiné à tenter de dépasser les réserves qui
bloquaient encore les négociations, sur certaines dispositions du texte des
conventions, qui ont constitué ce qu'on a dénommé"protocole d'accord"
de l'autonomie interne de la Tunisie. Habib Bourguiba était alors pour la
première fois reçu officiellement, par le chef du gouvernement français,
quoique encore uniquement chef du Néo-Déstour, ce qui devait signaler déjà a
tous sa qualité de "décideur incontournable pour les grands changements
qui se préparaient dans les relations Tuniso-Françaises." Quand en 1985, alors que j'étais ministre de
la Santé, Edgar Faure,de passage en Tunisie,où il aimait souvent venir, me
remis un exemplaire dédicacé du deuxième tome de ses Mémoires il ne manqua pas
de me signaler que jusqu'à une date relativement récente il ignorait les circonstances de la mort de mon
père et il ne comprenait pas pourquoi Bourguiba ne lui en avait pas parlé alors
que le cursus universitaire et les grandes qualités de "cette grande
figure tunisienne" ont été évoqués à plusieurs reprises en préambule de ce
premier entretien historique avec Bourguiba. E.Faure semblait persuadé à
l'époque que Tahar Sfar encore vivant devait jouer un rôle important dans la
Tunisie nouvelle. Je laisserai le soin, aux historiens de métier, d'expliquer
les raisons certainement d'ordre psychologique qui ont fait que Bourguiba n'a
jamais parlé ni en public ni en privé du contexte dans lequel Tahar Sfar est
mort sauf pour nous dire "combien il regrette d'avoir entraîné ce grand
penseur avec lui dans la tourmente politique". A l'occasion de ses
diverses conférences sur son combat politique alors qu'il était chef de l'Etat,
Bourguiba a rarement témoigné objectivement de l'apport et du rôle de ses
compagnons de lutte, il s'est même permis d'affirmer dans ses diverses
déclarations publiques que Tahar Sfar, à l'instar du Docteur Mahmoud Materi ,
de Bahri Guiga, du cheikh Tâalbi et d'autres militants, aurait été en quelque
sorte, un témoin à charge , pendant les interrogatoires du procès des
responsables du Néo-Destour après les
événements du 9 avril 38. Ces affirmations se fondaient sur une
interprétation partisane des faits et sur la base d'une lecture, à mon avis,
quelque peu subjective des procès verbaux des interrogatoires de ce procès;
Bourguiba a même affirmé que ses camarades de combat se sont reniés devant le
juge d'instruction, alors qu'une lecture attentive des procès verbaux montre
avec évidence que les camarades de Bourguiba n'ont fait que confirmer, ce qui
était connu de tous à l'époque, à savoir, les différences de point de vues qui
sont apparues avec Bourguiba ainsi que d'autre camarades de lutte sur la
manière de conduire l'activité du Parti, plus particulièrement, avant et
pendant les événements du 8 et 9 avril 38.
J'apporterai dans le chapitre suivant de cet ouvrage un témoignage qui
pourrait faire l'objet de débats sereins et ouverts à d'autres interprétations
que celles que j'apporte, pour faire un peu plus de clarté au sujet des
tragiques événements qu'a vécu la Tunisie le 9 avril 1938 et sur lesquelles les
historiens et même certains militants du Néo-Destour,à juste titre d'ailleurs,
continuent à se poser encore plusieurs questions."S'agit-il, en ce qui
concerne la journée du 9 avril, d'un mouvement de révolte spontané récupéré par
le parti? S'agit-il, plutôt, d'une manifestation bien organisée et encadrée par
le parti comme il savait et pouvait le faire, surtout depuis sa création en 1934
et comme cela a été le cas d'une manière indiscutable pendant la journée du 8
avril 1938? S'agit-il d'une action mûrement réfléchie, décidée par Bourguiba
sans l'accord, de l'ensemble des membres du Bureau Politique, s'inscrivant dans
une stratégie pour le long terme et dont le parti devait assumer toutes les
conséquences…..?
Les procédures démocratiques
pour décider de l'orientation du Parti et du programme de ses activités, du
moins, les plus importantes,- procédures que tous les responsables du bureau
politique de l'époque, s'étaient engagés solennellement à observer,- ont -elles
été respectées pour le déclenchement des manifestations, et surtout celles du 9
avril, s'il s'avère que celle-ci avait été organisée? Autant, de questions qui
méritent encore la poursuite des investigations, des réflexions, et des
recherches me semble t-il.
L'ancien syndicaliste, l’ancien
chef scout et le sympathique éducateur que fut notre camarade Boubaker Azaïz se
pose publiquement, jusqu'à une date toute récente, des questions similaires
dans les colonnes de la revue "ESSABIL" l'organe de langue arabe des
scouts tunisiens dans un numéro de l'année 1996 sous le titre"Autour
des événements du 9 avril.un point d'interrogation?"...Nous y
reviendrons...
Mon père passait ses vacances
universitaires souvent dans sa ville natale Mahdia, il ne manquait jamais de
répondre notamment aux invitations de l'association culturelle El-Nachia
El-Adabia, qui à été crée dés l'année 1922, pour organiser et animer des
causeries et des conférences aussi bien de caractère littéraire qu'historique
et scientifique, il expliquait entre autre à ses cadets ce qu'il considérait
être les facteurs essentiels et déterminants du progrès des collectivités
humaines en mettant toujours l'accent sur l'importance de l'enracinement dans
les valeurs universelles, du civisme collectif, de la nécessaire maîtrise des
sciences, et de l'esprit d'organisation et de méthode. Il rappelait, dans le
détail, l'apport arabo-musulman au savoir universel et explicitait les voies
qui, selon lui peuvent conduire notre pays vers un progrès authentique.
.Parfois Habib Bourguiba venait rejoindre son camarade à Mahdia dans la maison
de mon grand père dans la proche banlieue de la Médina dans un quartier dénommé
à l'époque "Le Rémel" et dans la rue qui porte aujourd'hui, le nom de
Jean Roux, un journaliste et écrivain français qui aida beaucoup par sa plume
la Tunisie et Bourguiba dans la phase ultime de libération du Pays.
Quoique de personnalité, et de
tempérament fort différent, Tahar Sfar et Habib Bourguiba avaient une grande et
sincère estime l'un pour l'autre; ils se complétaient souvent dans les analyses
qu'ils effectuaient tant sur l'actualité politique en Tunisie qu'en France.
Pendant toute la période couvrant leurs études à Paris ils avaient en effet
très souvent de longues discussions ,tant à Paris que pendant leurs vacances à
Mahdia sur des thèmes très divers et plus particulièrement sur la situation
politique, économique et sociale qui prévalait en Tunisie ainsi que sur les grands
courants qui agitaient le monde en ce premier quart du XXe siècle.
Certains témoins des"
causeries" des deux amis nous ont signalé le net ascendant qu'avait Tahar
Sfar sur son camarade en raison notamment de son érudition, de sa grande
capacité d'analyse et de synthèse, de son honnêteté aussi bien intellectuelle
que matérielle et de l'authenticité de son abnégation envers son pays. Cet
ascendant semble avoir trouvé son apogée quand Tahar Sfar avait été amené à
user, avec succès, de toute sa force de persuasion pour convaincre son ami de
ne pas suivre "les bons conseils de ceux qui lui recommandaient de ne
pas s'encombrer d'un enfant"(qui fut son fils unique) alors qu'il
n'avait pas encore achevé totalement ses études et qu'il se préparait à un long
combat. Habib Bourguiba ne nous a rapporté de ses entretiens avec Tahar Sfar
que certaines des plaisanteries qui égayaient parfois leurs veillées et leurs
promenades en mer à Mahdia; il aimait plus particulièrement répéter chaque fois
que le nom de Tahar Sfar était évoqué en sa présence-- pour détendre
l'atmosphère autour des personnes qu'il invitait à sa table de Président de la
République-- ,comment il s'est employé à démystifier l'admiration qu'aurait eu
mon grand père pour une guérisseuse à Mahdia qui soignait ,à l'époque ses
visiteurs malades en faisant, chaque fois, sortir de leurs yeux ou de leurs doigts soit des débris de verre soit des vers de
terre: Bourguiba raconte qu'il eut l'idée de se faire blesser légèrement un
doigt et s'est rendu en compagnie de mon grand père et de mon père à la
consultation de celle qu'on dénommait alors "Essghaïra" et qui comme
à l'accoutumé fit sortir du doigt de
Bourguiba les habituels débris ; devant l'hilarité générale notre
guérisseuse sans être désarçonnée le moins du monde affirma à ses consultants
"que c'était certainement de très anciens morceaux de verre et Dieu
dans grande miséricorde a bien voulu en ce jour heureux en débarrasser le corps
de Bourguiba pour son grand bien, et pour lui assurer une longue vie".
Tahar Sfar, pour sa part,
quand en famille on évoquait le nom de Bourguiba, aimait rappeler, me disait souvent mon grand père
Mustapha, l'importance qu'avaient revêtu pour lui ses débats d'idées très
variés et ses discussions libres et très animées tant avec Habib Bourguiba
qu'avec ses autres camarades notamment pendant ses études à Paris, car
disait-il, “ la vérité est une quête permanente et j'éprouvais toujours
une grande sérénité chaque fois que j'avais l'occasion de confronter mes idées
et mes impressions avec les autres. ”. Certains de ses camarades
disaient de Tahar Sfar qu’il “ philosophait trop ” !
A Demeerseman dans son livre sur Tahar Sfar " Là-bas à Zarzis
et maintenant" édité par la Maison Tunisienne de l'Edition en 1969
nous dit ceci:" Que Tahar Sfar soit un philosophe, personne n'en doute,
mais qu'on veuille le faire passer pour un poète, l'affirmation pourra paraître
paradoxale. Elle correspond pourtant à la stricte vérité. Si l'on admet avec
André Rousseau, que tout homme est un poète possible, on peut discerner
aisément ce que sont chez Tahar Sfar les conditions qui prédisposent à la
conception lyrique: L'IMAGINATION ET LA SENSIBILITE. L'imagination lui permet d'évoquer le passé
en GRANDES FRESQUES MAJESTUEUSES et d'avoir LA VISION PREMONITOIRE DE L'AVENIR.
La sensibilité lui donne d'être péniblement et douloureusement affecté par
l'ingratitude et l'incompréhension des hommes, Il décrit avec une émotion
communicative la misère du peuple tunisien, il a l'intuition fulgurante du tragique de la condition humaine.
Cependant la fidélité à son propre témoignage, si elle nous permet de croire
qu'il a aimé la poésie, invite à ne pas le classer dans la catégorie des
artistes purement imaginatifs. Sa pente l’entraîne, avoue-t-il, vers la
philosophie, la science. Mais est-ce là un argument décisif? Que chez lui les
images se spiritualisent et se transforment en idées qui s'adressent à
l'intelligence, serait-ce là un indice probant de l'absence d'une vocation
poétique? C'est le contraire qui est vrai. UNE PENSEE AUSSI PUISSANTE QUE LA SIENNE CAPABLE DE
REPRENDRE CONTACT AVEC LES DONNEES ESSENTIELLES DES PROBLEMES, D'ATTEINDRE LE
COEUR DES CHOSES, N'ETAIT-ELLE PAS NORMALEMENT APPELEE A LA COMPREHENSION
POETIQUE DE LA VIE? POUSSÉ QU'IL ETAIT
VERS L'OBSERVATION INTERIEURE? SOUCIEUX PAR SURCROIT DE VALEURS VRAIES, ANXIEUX
JUSQU'A L'ANGOISSE DE LA CONDITION HUMAINE, IL N'ATTENDAIT EN VERITE QU'UNE
CIRCONSTANCE FAVORABLE POUR EXPRIMER CE QU'IL PORTAIT EN LUI...".
Il serait fastidieux et difficile
de donner une liste complète des écrivains, penseurs, historiens, philosophes
et spécialistes d'autres disciplines qui ont influencé la pensée et le
comportement de Tahar Sfar tant les
lectures dont il a laissé la trace souvent sous forme de résumés succincts,
étaient nombreuses, mais on peut en toute certitude affirmer qu'outre les
grands classiques du"siècle des lumières" comme Montaigne, Rousseau
et Voltaire et outre les grands romantiques, le philosophe Henri Bergson
(1858-1942) et l'historien, père de la sociologie moderne, Ibn-Khaldoun
(1332-1406) pour ne citer que ces deux-là eurent une influence non négligeable
sur sa conception profondément humaniste
de l'évolution de la Cité idéale, pour laquelle il voulait combattre dans son
pays dés la fin de ses études. La vision universaliste khaldounienne de la
société humaine tel que décrite dans la Muqaddima constitue une sorte de trame
de fonds de la pensée de Tahar Sfar.
Il aimait, en dehors
d'Ibn-Khaldoun et de Bergson, lire et
relire pour le plaisir nous disait-il, Tawq al-hamàma d'Ibn Hazm , Kalila wa
Dimna d'Ibn Al-Muquaffa, Al-Fawz-al-Asgar de Miskawayh ainsi que le journal de
route de ce grand voyageur arabe que fut Ibn-Battouta, qui nous a laissé un
incomparable panorama de l'Univers au 14é siècle. Tahar Sfar aimait également
revenir souvent aux oeuvres D'EL-Jahid, Del-Mouttannabi, d'Abou-Firas
El-Hamdani...., de Pascal, de Victor Hugo, de Tolstoï, de Musset....; Il
montrait, en matière de pensée politique, une grande admiration pour les idées
et le style de combat préconisé par Gandhi en Inde et il s'est laissé imprégner
par les premiers théoriciens de "la science politique" que fut
Montesquieu, Tocqueville, Sièyes, John Stuart Mill et d'autres encore. Ce sont
ces penseurs qui lui ont fait croire en l'impératif de la formation dans son
pays pour sa libération "du citoyen actif, vertueux, disponible,
intéressé aux affaires publiques et participant actif".
Tahar Sfar a, certes, lu le
"Prince" de Machiavel, mais il a été révolté par le cynisme de
ce conseiller-penseur, il avait replacé les" recettes et conseils" de
l'éminence grise des Médicis dans le contexte de leur époque de la" République
de Florence" dominées par les intrigues et les conflits entre
principautés ; il a toujours cru, peut être naïvement, que le processus
démocratique-aussi imparfait qu'il soit- qui commençait à se développer dans le
monde devait conduire inéluctablement sur le long terme à la négation du
« Machiavélisme » que beaucoup d’hommes politiques érigent
encore hélas en " art de gouvernement".
Tahar Sfar était profondément
convaincu que l'humanité devait progresser notamment par la réhabilitation de
la morale dans l'activité politique, il ne pouvait pas concevoir de progrès
authentique et durable dans la société sans le triomphe de la vertu.
Tahar Sfar, nous a laissé dans
ses cahiers de notes, des traces des cours qu'il avait suivi à Paris, ainsi que
les noms de certain de ses professeurs: Nous savons qu'il a suivi, en 1927, le
cours intitulé "la vie politique et le rôle de l'Administration"
de M Préhat, à l'Ecole des Sciences Politiques, comme il a suivi les cours, de
M Le Fur en Droit Public International, celui de M Jéze en Droit Public, celui
de M Capitant en Droit Civil, celui de M Truchy en Economie Politique, celui de
M Berthélemy en Droit Administratif et celui de M Deroy en Finances Publiques à
la Faculté de Droit; il a également assisté à certains cours sur la psychologie
de l'art du professeur Henri Delacroix à la Sorbonne. On sait que J-P Sartre
présenta en 1927, sous la direction du professeur Delacroix un diplôme d'études
supérieures intitulé"l'Image dans la vie psychologique: rôle et
nature", Tahar Sfar s'est peut être ainsi trouvé parfois assis, sans
le savoir sur les bans des mêmes amphis
que le futur grand philosophe et romancier français qui était de deux ans son
cadet.
Pour mieux saisir les
convictions, la pensée, l'itinéraire intellectuel et politique de Tahar Sfar il
parait utile, voir nécessaire de se
remémorer le contexte général de l'époque, à travers les événements les plus
importants que vécu notre région, la grande Europe et le reste du Monde, plus
particulièrement, pendant la période du séjour de Tahar Sfar à Paris.
Cette période fut en effet,
comme les précédentes, riche en signes annonciateurs de bouleversements
géopolitiques plus particulièrement en Europe, bouleversements qui ne pouvaient
pas dans le court et moyen terme ne pas avoir de répercussions sur notre
région.
Comment peut-on qualifier cette
période, 1924-1928 pleine d'ambigüités et qui constitue une sorte
d'aboutissement des efforts de reconstruction et de rattrapage des années de
guerre?Les discordances de la situation économique des pays occidentaux
paraissent, pendant cette période, déroutantes mais globalement le rattrapage semble se réaliser, aux Etats-Unis comme en
Europe, le secteur immobilier joue le rôle de locomotive, les nombres de
logements construits atteignent des records; de même, l'augmentation
exceptionnelle de la productivité dans les industries françaises notamment
semble avoir permis de combler le retard
accumulé depuis la veille de la guerre. La période reste caractérisée
toutefois par la fragilité de la solidarité des Alliés et par des divergences
sur l'épineux problème des réparations et des dettes de la guerre. L'ébranlement des impérialismes européens
confirme la remise en cause de l'hégémonie de l'Europe sur le monde et la
diffusion des idées nouvelles dans les pays sous régime colonial laissent
entrevoir des possibilités crédibles de remise en cause de l'ordre colonial:
Dés 1919, les idéaux du président Wilson ont des échos non négligeables et
semblent sonner le glas du mythe de la mission civilisationnelle de la
colonisation. La désunion entre les vainqueurs de la guerre apparaissait déjà
depuis le rejet du traité de Versailles en 1920 par le Sénat américain...
Ainsi, c'est dans ce contexte
complexe d'après guerre, qu'au cours, des années 24 à 27, les événements, que
nous allons brièvement nous remettre en mémoire, à titre purement indicatif,
semblent avoir retenu, à divers titres,
l'attention de l'étudiant parisien Tahar Sfar comme certainement celle de ses
camarades d'études. Ces événements ont fait l'objet soit de lectures dans des
revues spécialisées, soit de discussions et d'analyses avec ses camarades
tunisiens, maghrébins ou européens. Rappelons, que Tahar Sfar avait, pendant au
moins un an, habité dans la résidence universitaire de Belgique à Paris, après
un séjour à la cité Deutcht de la Meurthe, aux milieu des étudiants européens
et qu'il avait à cette occasion écrit à quelques amis à Tunis pour appeler déjà
ses compatriotes fortunés à rassembler des dons pour que la Tunisie puisse
édifier une résidence pour étudiant à Paris à l'instar de ce petit pays
qu'était la Belgique.
Tahar Sfar ne pouvait pas ne pas
réfléchir aux conséquences des événements qui retenaient son attention, à
l’époque, tant pour l'avenir des relations internationales que pour l'évolution
des idées et des courants profonds qui remuaient les sociétés occidentales.
Idées et courants qui ne pouvaient pas ne pas avoir d'échos en Tunisie et
d'influence sur l'avenir politique de son pays. Son inscription à l’Ecole libre
des Sciences Politiques de Paris, parallèlement à la Faculté de Droit et à la
Faculté des Lettres, témoigne de l’intérêt qu’il portait à la politique et de
sa volonté de ne pas l’aborder en dilettante ni d’une manière classique, mais
sur la base d’une démarche rationnelle et sur la base d’une méthodologie
réfléchie et adaptée au contexte national et international.
Ainsi Tahar Sfar suit avec
intérêt- comme le laisse entrevoir les notes éparses de ses cahiers d’étudiant-,
avant même son départ en France, le déroulement de la Conférence de Paris sur
les réparations de guerre que l'Allemagne doit payer, il relève les conséquences
possibles, à l’échelle internationale, tant de l'occupation de la Ruhr par la
France, avec l'appui de la Belgique, en gage des réparations allemandes, que la
signature par la Grande Bretagne et les Etats-Unis de l'accord sur les dettes
interalliés, la condamnation du Pape Pie XI de l'occupation de la Ruhr et
l'attitude de la Grande Bretagne qui
estime, dans une première phase, également cette occupation contraire au Traité
de Versailles. Il relève toutes ces contradictions et ces incohérences, alors
que le fascisme se renforce déjà en Italie où Mussoloni consolide son pouvoir
par des arrestations massives de militants socialistes et que Hitler se
manifeste, bruyamment déjà, sur la scène politique internationale par son
putsch manqué à Munich et enfin que le Général Primo de Rivera fait accepter au
Roi Alphonse XIII l'instauration d'un directoire militaire en Espagne.
Tahar Sfar perçoit les prémisses d'un renforcement de
l'interventionnisme américain en Europe
à travers notamment la proposition des
Etats Unis de jouer
" Monsieur bons offices"
dans le différent franco-allemand sur les réparations de guerre, il note
également le peu d'intérêt de cette nouvelle puissance- qui émerge depuis la
première guerre mondiale- pour le Maghreb arabe, considéré encore comme "chasse
gardée de la France, comparativement à l'intérêt grandissant qui se
manifestait déjà pour le "Machrék" arabe. Est ce qu'il
entrevoit déjà le début du déclin de l'Europe au profit de la montée en
puissance des Etats Unis qui se dessine après la première guerre mondiale? Nous
ne pouvons pas le savoir avec certitude à travers les écrits et les notes qu'il
nous a laissés.
Tahar Sfar tente aussi
d'analyser les conséquences historiques du Traité de Lausanne abrogeant le
Traité de Sèvres imposé à la Turquie en 1920 tout en suivant avec beaucoup
d'attention l'évolution de la situation politique dans ce dernier Pays où
Mustapha Kemal avait déjà proclamé la République dés octobre 1923 en engageant
un premier train de réformes importantes en Turquie. Certains commentateurs des
journaux parisiens de l'époque
signalaient que le Traité de Lausanne marque une date capitale dans l'histoire
de l'Europe et même celle du monde arabo-musulman; en effet pour la première
fois la Turquie, pays musulman est traitée comme une puissance occidentale et
la guerre contre les turcs qui devait avoir
pour effet de les repousser hors d'Europe contribue grâce au Traité de
Lausanne de rapprocher la Turquie de l’Europe.
En effet, depuis une décennie déjà, où même plus, une certaine élite turque et
une partie de la classe politique prônaient et militaient pour des réformes qui
s'inspiraient des institutions et de la dynamique du progrès scientifique du
monde occidental; et voilà que les pourparlers de Lausanne s'achèvent, dés
juillet 1923, d'une façon très favorable au gouvernement de Mustapha Kemal qui obtient presque tout ce qu'il
souhaitait renforçant ainsi son autorité dans son pays et conduisant à l'avènement
de la République : les frontières de la Turquie d'Europe redeviennent celles de
1914,la Grèce cédant la Thrace orientale jusqu'à Maritza. En Asie, Ankara
reçoit la Smyrne et l'Arménie occidentale. Certes les Détroits sont
internationalisés et surveillés par une Commission Internationale mais en
contre partie toutes les forces d'occupation étrangères évacuent le
pays, y compris Istanbul, la Grèce et la Turquie procéderont à un important
échange de population pour tenter de régler le délicat problème des
minorités.
La mort de l'homme politique et
du philosophe que fut Maurice Barrés focalise l'attention de Tahar Sfar, sur
l'itinéraire et la pensée de ce grand homme qui fut, avec Paul Painlevé et
Pierre Taittinger, dés le 2 février 1922 parmi les auteurs et les députés signataires d'un projet de résolution
en faveur de la Tunisie, ,( ce projet sera retirer par ses auteurs à la suite
de évènements intervenues en Tunisie en avril 1922,où on vit pour la première
fois un Bey, Mohamed Ennaceur ,tenter de soutenir les revendications des nationalistes
tunisiens) demandant la promulgation
avec l'accord du Bey de Tunisie, d'une "charte constitutionnelle fondée
sur le principe de la séparation des pouvoirs avec une assemblée délibérante
élue au suffrage universel, à compétence budgétaire étendue et devant laquelle
le gouvernement local serait responsable de sa gestion" répondant
ainsi aux sollicitations d'une délégation de nationalistes tunisiens dépêchée à
Paris en décembre 1920 et conduite par notamment Tahar Ben Amar, Hassouna El
Ayachi et Farhat ben Ayed. Cette délégation, qui fut reçu en audience par le
président du Conseil français, s'est montrée plus modérée dans le fond et dans
la forme en comparaison avec les revendications déjà exprimées par l'ouvrage
qu'avait publié en 1919 à Paris A. Taalbi, avec l'aide d'Ahmed Sakka sous le
titre de "La Tunisie Martyre".
On sait que cette publication
intervient un an,a peu prés, avant la fondation à Tunis par notamment A Taalbi,
du premier "Destour",sous la dénomination officielle de "Parti
libéral Constitutionnel" .Tahar Sfar reproduit dans un de ses
cahiers d'études, un article, qui avait certainement eu sur lui une forte
impression ; il s’agit d’un article du journaliste Robert de Flers publié
à l'occasion de la mort de Barrés:"Il avait été un homme politique,
écrit Robert de Flers, dont la carrière avait embrassé une période très vaste:
il avait vu le boulangisme, le Panama, la guerre, le défaitisme et, en 1919, le
bolchevisme menaçant. Son cœur passionné des grandes traditions de la patrie
l'avait toujours et d'abord porté vers l'endroit où le drapeau lui semblait
engagé....il avait aussi été un homme de
lettres et une grande personnalité. Ceux qui n'apercevaient en lui que
nonchalance et que hauteur ne le connaissaient point. C'était en quelque sorte,
un passionné de sang froid qui poussait jusqu'au génie le don tantôt de
découvrir sous les réalités apparentes leur signification abstraite, tantôt de
communiquer aux abstractions le frémissement et l'ardeur de la vie....Nul poète
ne poussa à un point supérieur l'esprit philosophique; nul philosophe ne
consentit à goûter avec plus d'abandon et de délicatesse le spectacle du monde
extérieur...C'est ainsi que sa vision, à la fois impérieuse et docile des
grands aspects de l'humanité, accueillait tour à tour la magnificence d'un
satrape ou la discipline d'un janséniste. Nous devons à cette mobilité
singulière l’œuvre éblouissante de diversité qui va de Du Sang, de la Volupté
et de la Mort, à la Colline Inspirée, du Jardin de Bérénice à l'Appel au Soldat,
des Fleurs aux lauriers."
Tahar Sfar semble avoir retenu de l'exemple de Barrés, le modèle de
l'intellectuel qui ne renie pas les valeurs auxquelles il est attaché même dans
l'action politique, tout dépend, en effet, de la finalité qu'on donne à cette activité:
exclusivement l'accès au pouvoir pour s'y maintenir à n'importe quel prix et
par n'importe quel moyen ou se mettre au
service de son pays sur la base d'un programme consciencieusement
élaboré et démocratiquement adopté puis scrupuleusement et méthodiquement mis
en œuvre.
En 1924, ce qu'on a appelé le
"cartel des gauches" devient majoritaire à la chambre des députés en
France, les radicaux et les socialistes triomphent et le président Millerand
est contraint de démissionner après que la Chambre ait renversé le cabinet
constitué par un de ses proches Francis-Marsal. Malgré cette démission, le
cartel des gauches n'aura pas la Présidence de la République. Gaston Doumergue
est élu président par 515 voix contre 309
voix au candidat de l'union de la gauche Painlevé. Cette défaite de Painlevé
était due essentiellement au vote des Radicaux du Sénat qui ne sont pas alignés
sur les Radicaux de la Chambre, leur radicalisme s'est accommodé à cette
occasion d'un certain conservatisme, et
le choix de Doumergue leur a paru plus sage. Tahar Sfar va s'intéresser
davantage, pendant cette période à la vie politique française, aux jeux et aux
alliances des partis, aux événements au jour le jour, aux débats à la Chambre
et aux commentaires des principaux quotidiens parisiens. Les quelques meetings
de partis politiques auxquels il assiste en tant qu'observateur critique, sont
de véritables séances de travaux pratiques pour ses cours à la faculté de droit
et à l'école des sciences politiques, ils sont également pour lui une occasion
privilégiée pour mieux comprendre les avantages et les inconvénients de la
"démocratie occidentale" et de réfléchir aux conditions préalables de
succès de véritables Institutions démocratiques dans une Tunisie qui recouvre
un jour sa souveraineté. Parmi ces conditions Tahar Sfar privilégiait en
toute première place le choix de la méthode à retenir pour la lutte de
libération du pays ;choix qui se devait
d'être défini sans ambiguïté afin que des règles de conduite constitutifs d'une
véritable éthique, puissent être établies et respectées par tous les militants;
cette méthode se devait de mettre en première ligne, le non recours à la
violence physique, l'apprentissage et l'éducation de tout le peuple pour
développer l'esprit de tolérance grâce notamment à la multiplication des débats
libres et démocratiques bannissant toutes formes d'autoritarisme dans la vie
politique. La lutte pour la
libération devait être, selon Tahar Sfar réalisée dans et avec le pluralisme
des idées et des partis, elle devait être
surtout l'occasion pour les militants de l'apprentissage des règles du
jeu d'une vraie démocratie: La critique de l'autre ne doit pas conduire à
sa négation mais à transformer les militants et avec eux le peuple en véritable
arbitre responsable. Ce faisant Tahar Sfar était-il un utopique à l'époque?
Peut être qu'il y avait beaucoup d'utopie et d'idéalisme dans le crédit qu'il
accordait "aux forces du bien" dans les hommes et notamment à
la sacralisation de la parole donnée, qui est comme chacun le sait, une de nos
valeurs traditionnelles constitutive de l'honneur de l'Homme. De toutes façons
ce qui me parait certain, c'est que Tahar Sfar s'est voulu un humaniste et un
démocrate authentique à travers lequel la grande majorité des intellectuels
Tunisiens devraient normalement se reconnaître tout naturellement,comme le
démontre l’histoire de ces cinquante dernières années depuis l’indépendance de
notre pays. le comportement de Tahar Sfar comme celui de très nombreux autres militants
honore le mouvement de libération tunisien et contribue à lui donnée sa belle
spécificité par rapport à d'autres mouvements. Tahar Sfar ne voulait, à
l'instar de beaucoup d'autres militants, en aucun cas combattre pour
transformer un peuple considéré par les colonisateurs comme un "peuple
troupeau" pour en faire un peuple "enfant".Son combat
n'avait de sens et de raison d'être, que pour faire en sorte que la lutte pour
l’indépendance soit une occasion privilégiée pour éduquer civiquement tout un
peuple et faire du peuple tunisien un peuple libre et pleinement responsable de
son destin dans le respect des lois et des institutions qu'il se serait
démocratiquement données. Pour lui, la lutte nationale devait être, avant tout autre chose, un moyen
efficient pour faire prendre conscience à toutes les catégories du peuple
tunisien qu'elle constituent une même Nation ,que cette nation se libérera
effectivement et inéluctablement par une éducation moderne et généralisée,
éducation que le peuple tunisien était disposé(et il l'a prouvé surtout pendant
la période 1949 à 1955) à assurer par ses propres maigres ressources même quand
les autorités du protectorat ne suivaient pas cet élan pour des raisons
évidentes de pérennisation de la colonisation: Le développement d'une éducation
moderne et solide devait contribuait inéluctablement et naturellement à la fin
de la colonisation dans sa forme originelle…
La mort de Lénine ,amène Tahar
Sfar à réfléchir et à se documenter sur
l'évolution de la situation en Russie où Staline va bientôt consolider son
pouvoir en se débarrassant de celui qui
pouvait prétendre à la succession de Lenine; en effet dés 1927 Trotski sera
exclu du Présidium de l'Internationale Communiste en prélude à son exclusion du
parti Communiste et à son exil. Tahar Sfar pense dés cette époque que "la
dictature provisoire du prolétariat" était une parodie du vrai
socialisme et qu'elle ne faisait que masquer un régime totalitaire qui se
renforce de plus en plus
En Novembre 24, Tahar Sfar,
note la formation, pour la première fois dans l'histoire du Royaume-Uni, d'un
gouvernement travailliste et compare pendant toutes ces années les politiques
intérieures et extérieures des deux pays, la France et le Royaume-Uni. Toujours
en 1924, la déchéance de la dynastie des Glucksbourg en Grèce, discréditée
notamment, par les pertes de la guerre contre la Turquie, est proclamée
pacifiquement par un vote unanime à l'Assemblée à Athènes et la République est
instituée. La motion votée dans un grand enthousiasme interdit également le
séjour en Grèce aux membres de la famille royale et autorise l'expropriation de
leurs biens: Ce changement radical de régime sans l'habituel bain de sang
retient l'attention.
Déjà en Mars 24, l’Assemblée
turque avait voté, après un débat houleux, mais apparemment démocratique,
l'abolition du Califat en vue de défaire le pays de ses archaïsmes et de
parachever l'action entreprise depuis 1922 avec la suppression de la fonction
de Sultan en temps que chef temporel. La suppression de la Monarchie Ottomane,
par la déposition de Mehmet VI augure de grands changements dans toute
l'ancienne zone d'influence turque, et les élites des différents pays arabes de
l'ancien empire ottoman suivent avec un intérêt croissant la nouvelle politique
de Mustapha Kemal, même si elles ne les approuvent pas toutes….
La cérémonie de transfert de la
dépouille de Jean Jaurès au Panthéon en
Novembre 1924 retient l’attention de Tahar Sfar qui note dans un de ses cahiers de cours de sciences
politiques, le commentaire suivant d'un journaliste de l'époque "Le
cortège de Jaurès s'est lentement dirigé, avec une grande simplicité qui n'excluait pas une émouvante
solennité, de la chambre des députés, qui fut son domaine d'action privilégié, au Panthéon ,qui sera le
champ terrestre symbole de l' éternel repos de ce vaillant combattant qu'on ne peut qu'admirer
même si on ne partage pas toutes les idées"
Ces quelques rappels
historiques, sans être exhaustifs nous montrent, combien Tahar Sfar,
s’intéressait avec lucidité à ce qui se
passait sur la scène européenne et internationale et avait déjà pleinement
conscience que l'avenir de son pays ne pouvait pas être sérieusement envisagé
en dehors d'une bonne compréhension du contexte général du monde Méditerranéen,
de l'Europe, voir de l'évolution de la situation mondiale, de ses enjeux et de
l'équilibre des forces en présence.
Sur le plan littéraire, Tahar
Sfar, ne manque pas de remarquer et de s'intéresser à l'apparition du jeune
courant des surréalistes avec, André Breton, Louis Aragon, Paul Eluard et d'autres
il note à ce sujet cette tentative de définition du surréalisme naissant, qui
est devenu par la suite le mouvement qui a marqué le plus de son empreinte
presque toute la littérature, la peinture et la pensée française: "Autant
qu'il semble, le surréalisme aurait pour base la réalité, pour moyen
d'expression les images et essentiellement les images issues de l'observation
visuelle où doit se fondre en une sorte de précipité, les éléments de la
réalité les plus opposés. Le surréalisme semble également proscrire l'excès
d'abstraction et de dialectique et condamne tout dilettantisme, tout art
décadent, il parait vouloir l'intensité, la force et la santé".
En 1925 la chute du cartel des
gauches notamment en raison des difficultés financières de la France retiennent
l'attention de Tahar Sfar; c’est une occasion pour lui de voir en pratique les
résultats fâcheux des politiques budgétaires et monétaires mal conçues et mises
en oeuvre partiellement, et percevoir aussi l'ampleur de la différence entre le
discours politique prôné par l'Union de la gauche et l'évolution de la
situation politique, économique et sociale de la France .
Tahar Sfar fut tout au long de
ses études un analyste très critique d'une certaine classe politique française
en faisant ressortir les faiblesses et les contradictions tant de sa politique intérieure qu'extérieure. Ses
analyses étaient influencées par les valeurs auxquelles il était attaché
presque d'une manière viscérale ; en effet, pour lui faire de la politique,
c'est, avant toute chose, se mettre au service de son pays avec abnégation et
compétence en respectant soi-même et
jusque dans sa vie privée les valeurs prônées pour le type de société qu'on
prétend vouloir réaliser. Il avait en horreur les "méandres de la
politique politicienne, opportuniste ou démagogique" Tahar Sfar,
dés le début de son combat a considéré qu'en politique comme en toute autre
activité ,la fin ne doit en aucun cas justifier n'importe quel moyen, il était
foncièrement convaincu qu' opter pour le contraire, c'était ouvrir la voie au
totalitarisme et à la répression qu'on est censé combattre.
Pour Tahar Sfar, la lutte
nationale pour la libération de notre pays du colonialisme se distingue nettement
de la politique courante dans un pays souverain. Cette lutte, selon sa
conception, doit exclure, en cette fin
du premier quart du XXe siècle,le recours à la violence physique, en tant que
système; parce que, celle-ci débouche sur la banalisation de l'usage de la
terreur génératrice des dictatures.
La Tunisie ayant suffisamment
souffert tout au long de son histoire des luttes souvent fratricides se devait
de préparer une nouvelle élite bannissant la violence du combat politique et
tout son peuple devrait être imprégné de cette impérieuse nécessité pour forger
un nouvel avenir qui ne pouvait être porteur de progrès authentique et durable
que dans la concorde pérennisée dans le
pays, non par la force et la contrainte, mais par l'apprentissage de la vie
démocratique respectueuse des droits et des devoirs de l'homme, de ses libertés
fondamentales parmi lesquelles le droit à la différence non seulement dans les croyances mais
également dans le domaine des idées politiques, économiques ,sociales ou
culturelles
En pensant ainsi, Tahar Sfar
restait un authentique musulman, fondamentalement attaché aux valeurs
universelles de la civilisation arabo-musulmane qui doit, disait-il souvent, « se
débarrasser de ses archaïsmes et s'enrichir continuellement, pour rattraper le
temps perdu et faire vivre dignement le peuple tunisien dans un monde où la
science et la technologie feront de plus en plus la véritable puissance des nations ».
Son credo pour son pays était,
avant toute chose, la formation d'un peuple instruit, cultivé et consciencieux
capable d'assumer pleinement la réalisation de son destin.
C'est pourquoi Tahar Sfar a toujours envisagé et préconisé une première
étape dans le combat politique du mouvement national conduisant à
l'indépendance, qui devait mettre surtout l'accent sur l'apprentissage par la
pratique , par l'exemple et par l'éducation, de la vraie démocratie, et cela en
faveur de l'ensemble des composantes du peuple tunisien. Cette mission
devait être, selon lui, celle d'un grand Parti
Nationaliste de masse qui ,laissant la place obligatoirement à d'autres
partis et à d'autres courants de pensées, devait se fixer comme premier
objectif de faire prendre conscience à l'ensemble des tunisiens, de leur
appartenance à une même nation et de leur nécessaire participation pacifique au
long et patient combat de libération nationale dont l'aboutissement lui
paraissait, à plus ou moins long terme, inéluctable compte tenu de l'évolution
qui se dessinait dans le monde . En tout état de cause, et je m'excuse
auprès du lecteur de me répéter sur ce point du non recours à la violence
physique, qui était et demeure capital pour l'avenir de notre pays, cela
d'ailleurs s'est vérifié par la suite à de multiple occasions sur lesquelles
nous aurons peut être à revenir.
Le combat politique de
libération pour Tahar Sfar se devait d'être l'occasion la plus propice pour
l'enracinement d'une sorte de culture de la démocratie, auprès des élites et
des masses tunisiennes ;c'est pourquoi il insistait souvent dans ses
écrits sur ce qu'on pourrait appeler la déontologie de la critique qui doit
prémunir les partis contre les luttes intestines et stériles contre la
démagogie et les comportements diffamatoires qui sont autant d'ennemies de la
démocratie.
Ce faisant, Tahar Sfar
exprimait les souhaits profonds des élites successives qui ont milité depuis le
début du siècle notamment, selon le contexte particulier à chaque période, pour
une Tunisie souveraine et démocratique même si cela nécessitait obligatoirement
un long apprentissage et de grandes et
longues étapes.
Si Tahar Sfar avait pu vivre
jusqu'à la "guerre de libération algérienne" il n'aurait
certainement pas été d'accord avec Frantz Fanon dans ses appels à la violence
physique dans la lutte contre le colonialisme même si le cas algérien
représentait un cas particulier qui devait nécessairement justifier la lutte
armée. Michel Giraud, dans son intervention intitulée "Portée et
limites des thèses de Frantz Fanon sur la violence"à l'occasion du
mémorial international"Frantz Fanon" en 1982, a très justement
reconnu que ".Sur la question de la violence dans la situation
coloniale, nous buttons effectivement sur une contradiction majeure
,contradiction qui n'incombe pas à une faiblesse d'analyse que l'on pourrait
imputer à Fanon ,mais qui est inhérente à cette situation elle même .en effet
si, comme nous l'avons déjà vu, la contre-violence du colonisé est
"bonne" parce que légitime et nécessaire ,elle constitue en même
temps, dans le présent et pour l'avenir,
une menace potentielle pour l'avenir de l'humanité. De ce point de vue, même
légitime et nécessaire, elle peut être dite un "mal".je dirai qu'elle
est l'instrument d'un projet émancipateur, mais un instrument à double
tranchant, il convient d'en user avec discernement"
Michel Giraud, d'ailleurs ajoute" La grandeur
de Fanon a été de dire en même temps la nécessité de la violence dans la lutte
de libération nationale, et ses dangers."
Tahar Sfar a, suivi avec émotion et attention l'évolution
de l'insurrection armée conduite par Abd-el-Krim au Maroc, qui après ses
premiers succès contre les espagnols, se fait malheureusement écraser avec ses 20.000 combattants valeureux
par les 150.000 hommes conduits par le Maréchal Pétain en personne et appuyés
par des escadrilles de l'aviation française. Malgré ce déploiement de force, la résistance
héroïque d'Abd el Krim, se poursuivra jusqu'au printemps 1926. Seul, en France,
le parti communiste exprima, à l'époque, sa compréhension pour la résistance
rifaine, par la voie du député Doriot à l'Assemblée provoquant l'indignation de
la majorité de ses collègues députés.
En 1927 ,Tahar Sfar convient et
Habib Bourguiba partageait à ce moment entièrement cette forte conviction, que
ce n'est pas uniquement par les armes
que le Maroc et la Tunisie, pouvaient et devaient, rétablir leurs souverainetés,
mais par un long combat politique, pacifique et respectueux du droit, conduit
sur le sol national et relayé par des appuis sur la scène internationale en
commençant par la sensibilisation des français de bonne volonté eux mêmes sur
la réalité de la situation dans les colonies et sur cette grande
supercherie qu'était la prétendue oeuvre
civilisatrice de la France. Oeuvre qui, en réalité avait mis un terme à un
grand et noble courant réformateur proprement tunisien,- celui initié par Kheireddine Pacha et les premiers
réformateurs tunisiens depuis le xix siècle- pour conduire, sous le masque du
protectorat, à une colonisation rampante et un asservissement total du pays.
C'est de cette double prise de
conscience que commencent les premiers contacts de Bourguiba, Sfar et leurs
autres camarades encore étudiants, avec les rares intellectuels et hommes
politiques français de l'époque qui, par leurs timides écrits ou leurs
déclarations manifestaient une certaine opposition à la politique de
colonisation pratiquée par les autorités françaises. Ces contacts étaient
fréquents notamment avec les
associations à caractère humanitaire implantées à Paris et celles qui
militent pour le respect des droits de l'homme malgré leur faible audience à
l'époque, mais cela n'avait pas d'importance, les deux étudiants savaient
qu'ils ne faisaient que leurs premiers pas dans ce qu'ils reconnaissaient être
un long combat pour la "défense de la cause Tunisienne"dont la
première étape devait consister en un retour à l'esprit premier du protectorat
et à la lettre du Traité du Bardo qui n' autorisait la France à occuper que
temporairement la Tunisie en lui laissant une souveraineté interne totale.
D'ailleurs, il était déjà établi qu'aussi bien le Traité du Bardo, que la
Convention de la Marsa, ont été détournés par les Résidents successifs
représentants du gouvernement français en Tunisie plus particulièrement sous la
pression et l'influence des ténors des colons bien implantés dans le Pays
conquis et ayant à leur solde un groupe très actif à l'Assemblé parisienne
chargé notamment de légitimer l'action d'une colonisation spoliatrice menée par
les représentants des autorités françaises et de masquer les actions
d'appauvrissement systématique de la population tunisienne par une" colonisation
de peuplement" nullement prévu par les traités.
Au cours de l'année 1926, Tahar
Sfar ne manque pas de relever, encore une fois, le développement des
divergences dans le camp des Alliés alors que le fascisme continue à gagner du
terrain en Italie d'abord, en Autriche et en Allemagne ensuite. "L'occident,
disait souvent Tahar Sfar à ses camarades n'est pas entrain de tirer toutes les
leçons de la guerre des années 14-18". La conclusion d'un traité
Russo-Allemand inquiète certes "les Démocraties européennes"
alors que la S.D.N.n'était qu'à ses premiers balbutiements pour tenter de créer
un "nouvel ordre européen"Les relations Franco-Américaines
restent dominées encore par la question de la dette de guerre de la France
envers les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Ces deux derniers pays refusant
tout lien entre la dette française à leur égard et les sommes que la France est
sensée recevoir de l'Allemagne.
Le procès, des deux anarchistes d'origine italienne, Sacco et Vanzetti
au Etats-Unis est l'occasion pour Tahar Sfar de faire du Droit Pénal comparé
entre les principaux pays occidentaux et de se rendre compte du très faible
effet des nombreuses manifestations de protestation de la société civile des
pays européens sur la justice américaine , cela, malgré les insuffisances
manifestes de preuves, qui ont entaché ce procès resté célèbre.
L'année universitaire, qui
clôture les études supérieures de Habib Bourguiba se termine par la montée sur
le Trône du Maroc de celui qui sera le sultan Mohamed V, Henri Bergson, pour sa
part, reçoit, la même année le prix Nobel de littérature et Mao-Tsé-toung crée
l'Armée de Libération Nationale en Chine.Tahar Sfar ayant rejoins Paris une
année après Bourguiba retournera en Tunisie après avoir achevé ses études
l’année suivante en juillet 1928 après avoir participé activement à la création
de l’Association des Etudiants Musulmans d’Afrique du Nord, avec la coopération
de ses camarades notamment Salem Chedly et Ahmed ben Miled.
Salem Chedly sera ainsi le premier président de cette importante
association et Tahar Sfar son premier vice-président..Le grand rêve de cette
association relatif à la création d’un Maghreb Uni attend toujours sa vraie
concrétisation….
Pendant tout ce temps que se passait-il
en Tunisie?
Tahar Sfar avait eu la chance
de recevoir régulièrement, avec les lettres de son père des coupures des
journaux et revues publiés en Tunisie ,en langue arabe et plus particulièrement
la page littéraire hebdomadaire du quotidien En-Nahda;ainsi il était
constamment tenu au courant des principaux événements de son Pays qu'il ne
manquait pas de commenter avec ses camarades...Il avait quitté son pays pour
ses études en 1925 , après ce que les historiens tunisiens ont appelé la"crise
de 1922"au cours de laquelle s'évanouissait un premier espoir du
Destour de voir se réaliser ses revendications par la voie légale, après
également, le voyage du Président de la République française Alexandre
Millerand en Tunisie et après le simulacre de réformes du Résident Général Lucien
Saint destiné, sans résultats d'ailleurs, à calmer l'atmosphère très tendue
dans le pays, même si le petit "Parti Réformiste" tunisien
avait considéré ces réformes comme une "étape positive".
Manifestement les timides
réformes de juillet 1922 ne pouvaient satisfaire la grande majorité des
nationalistes tunisiens, seule une minorité, active dans la capitale, avait
acceptée d'apporter son appui, aux réformettes du Résident Général, tout en
attaquant dans certains journaux Tâalbi et ses compagnons pour ce qu'elle considérait
comme de l'intransigeance et de l'absence de maturité politique. Essafi et
Tâalbi sont même calomniés et accusés, sans preuves, par cette minorité de
détourner à leur profit les fonds du Parti.
Découragé, Thâalbi quitte la
Tunisie en Juillet 1923 pour un long exil volontaire en Orient, où il pensait
trouver un environnement plus propice à ses idées notamment sur l'évolution de
l'Islam et celle du monde arabe notamment après la consommation de l'éclatement
de l'Empire et du Khalifat Ottoman en faveur duquel il avait, pourtant, milité,
au début de son activité politique. Thâalbi laisse à Essafi, à Salah Farhat à
Mohiédine Klibi et à leurs camarades le soin de poursuivre la lutte au sein du
Destour.
Tahar Sfar avait pu également
avant de partir à Paris, observer la nouvelle résistance qu'allait engager le
Destour à travers ses journaux contre la
loi du 20 Décembre 1923 sur les naturalisations, loi dont il saisit le grave
danger à terme pour l'avenir de la Tunisie .Pendant les premiers mois de séjour
en France de Tahar Sfar, de Habib Bourguiba et de Bahri guiga se déclenchèrent,
en Tunisie, de nombreuses grèves ouvrières accompagnées parfois par des
incidents graves ,le Destour commençant par appuyer les initiatives de Mhammed
Ali pour la création de la Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens,
qui fut une sorte d'embryon du syndicalisme tunisien. Alors que Tahar Sfar et ses camarades
entamaient leurs études à Paris une délégation du Destour composée notamment de
Salah Farhat,d'Ahmed Essafi et de Ahmed Tawfik El Madani était chargée de se
rendre dans la capitale française pour sensibiliser les députés et sénateurs
français sur la situation en Tunisie, critiquer les prétendues réformes du
Résident Général,Lucien Saint et présenter un programme de revendications en 9
points. Dans un mémoire intitulé " la question tunisienne" le
Destour développe ses idées et explique à une opinion française, inquiète de ce
qu'elle appelait alors "le péril rouge", qu’il n'est en aucune
façon un allié du Parti Communiste.
On sait que cette délégation ne
fut pas reçu par les responsables français et qu'en Tunisie les autorités du
protectorats ,alarmées par l'amplification des grèves, engageaient des actions
de répressions et procédaient à l'arrestation des "Agitateurs"
en les inculpant "d'atteinte à la sûreté de l'Etat et appel à la haine
des races», Mhamed Ali , d'autres syndicalistes tunisiens et le communiste
Finidori sont ainsi arrêtés et accusés d'avoir fomenté un "complot
Destouro-Communite".Ahmed Kassab écrit au sujet de ce procès, dans son ouvrage
"Histoire de la Tunisie ,l'époque contemporaine" :"Le jour de
l'ouverture du procès, le 11novembre 1925 des grèves dont la plus importante
fut celle des dockers de Tunis, furent déclenchées en signe de protestation. Le
procès dura cinq séances devant le Tribunal Criminel de Tunis; Il tourna
purement et simplement au procès politique par le caractère même des inculpés
et surtout des défenseurs. Me Berthon,député communiste parisien,assistait
Finidori et Mhamed Ali,tandis que Es-Safi,Farhat et Djemaïl défendaient les
autres détenus tunisiens.Berthon termina
sa plaidoirie par une déclaration retentissante;"En vertu des traités de
la Marsa,la France n'a qu'un droit en Tunisie,celui de s'en aller".Lui
même n'avait rien à craindre en parlant ainsi, mais les avocats tunisiens tous
chefs du Destour,furent très prudents, Ils s'évertuèrent tous à montrer qu'il
n'y avait aucune collision entre le Parti Communiste et le Destour.Ils
profitèrent de l'occasion pour reparler des revendications destouriennes et
pour mettre l'accent sur leur compatibilité avec l'esprit des traités du protectorat.Ils
affirmairent solennellement leur loyalisme,par la bouche d'Ahmad Es-Safi: «Nous
savons que ,petit pays,la Tunisie ne peut pas être indépendante,qu'elle a au
contraire tout intérêt à vivre sous le protectorat français"
Ils manifestèrent si bien leur
loyalisme qu'ils allèrent jusqu'à se désolidariser ouvertement du nouveau
syndicalisme et de son promoteur Mhamed Ali.
Reculade très grave qui permis
au tribunal de prononcer un sévère verdict de bannissement contre tous les
inculpés: 10 ans contre Finidori, Mhamed Ali et Ayari ; 5 ans contre Kabadi,
Ghanouchi et Karoui."
"L'alliance avec les
communistes ne donna donc aucun résultat, car malgré leurs dénégations de
principe, les destouriens s'étaient réellement alliés a Finidori, sans
toutefois oser s'engager à fond dans cette alliance.
Ils eurent peur, au dernier
moment d'une réaction brutale des autorités qui avaient la hantise du péril
'rouge'.
Déçus donc par cette courte
alliance, et après avoir, somme toute, vilainement lâché Mhamed Ali, les
destouriens continuèrent seuls leur lutte."
Le Destour sortit relativement
affaibli de cette crise mais le jeune mouvement syndical prenait la relève et
une certaine agitation continua dans le pays contraignant ainsi Lucien Saint à
promulguer les décrets du 29 janvier 1926 qui limitaient encore plus la liberté
de la presse et permettaient de poursuivre plus sévèrement les crimes et délits
politiques.
Les années 1926 à 1930 se
caractérisèrent par une relative accalmie dans le combat national de libération
de la Tunisie qui attendait un nouveau souffle que ne manquera pas de lui
donner une autre génération de militants dés le début des années 30.
L'historien tunisien Ali Mahjoubi dans son
article en langue arabe "Lecture de l'histoire du mouvement national
tunisien"(1995) semble vouloir expliquer la mise en veilleuse de
l'activité nationale pendant la période 26-30 essentiellement par la relative prospérité
économique qui a prévalu à cette époque et notamment celle du secteur agricole,
il finit par conclure à une corrélation systématique entre crise économique et
vigueur de l'activité du mouvement national tunisien ,je pense pour ma part
qu'il n'y a pas que le facteur économique et qu'il faut y ajouter de nombreux
autres facteurs, dont notamment l'évolution des idées, l'augmentation du nombre
et de la qualité des élites tunisiennes, l'accumulation des expériences et la
géopolitique de l'époque.
les grandes lignes d'une
nouvelle stratégie de combat politique, qui se situait dans la continuité du
mouvement national tunisien, commençait progressivement à s'échafauder d'une
manière informelle au cours des multiples entretiens de Bourguiba avec ses camarades
d'études à Paris: tous étaient unanimes pour la nécessité d'un combat de longue
haleine qui se fixait comme objectif premier le développement de l'éducation de
l'ensemble du peuple Tunisien et comme moyens de réalisation le combat
politique pacifique qui n'excluait aucun moyen légitime, combat gradué par la
plume, par les réunions de formation politique,
les grands meetings, les grèves et les manifestations encadrées
lorsqu'elles ne sont pas interdites enfin et en dernière extrémité le boycott
sélectif des produits importés de France et de certains services publics.
Tahar Sfar, au cours de ces entretiens ne manquait
pas de se référer souvent au combat pacifique et efficace de Gandhi qu'il
admirait beaucoup non seulement pour son pacifisme militant d'une efficacité
redoutable, mais également pour les valeurs, l'éducation et les messages qu'il
diffusait dans son peuple. Education politique et civique que Tahar Sfar
considérait, répétons le, comme fondamentale non seulement pour la libération
d'un pays mais également pour assurer par la suite la pérennité de véritables
institutions démocratiques garantes d'un progrès authentique et reflet réel de
la maturité d'une nation.
En Mars 1931,Tahar Sfar, écrit
dans un article publié dans "La Voix du Tunisien" sous le titre
anodin de" DOCTRINES ET FAITS NOUVEAUX"à propos de la situation des
peuples colonisés "...Sentant qu'ils sont menacés de disparition ,que la
misère et la faim les guettent, que la loi de la sélection naturelle se retourne
contre eux;eux aussi se rapprochent les un des autres, s'unissent, joignent
leurs faibles mains dans un mouvement de solidarité instinctive, puis ce plus
en plus consciente, à mesure que s'aggravent les conséquences du régime
d'inégalité et de servitude ,toutes ces foules, spontanément unies, finissent
par comprendre que malgré la faiblesse ,à laquelle elles sont réduites en tant
que producteurs, elles constituent néanmoins une force très grande comme
consommateurs,que ce sont, en fin de compte, leurs multiples misères qui
donnent naissance à ces richesses éblouissantes qu'elles observent chez les
privilégiés, que c'est à eux à faire la loi au lieu de la subir servilement."
"Ces idées, poursuit Tahar Sfar, développées et
précisées par l'élite, forment toute une doctrine d'émancipation politique et
sociale qui fait irrésistiblement son chemin dans les masses exploitées;GANDHI
a attaché son nom à cette doctrine et l'a replacée dans le domaine de l'action.
Il y a vu un moyen efficace
d'arriver d'une manière certaine à la libération des peuples opprimés, SANS
RECOURS A LA VIOLENCE et rien que par la mise en oeuvre des forces latentes
contenues dans les droits économiques, il y a vu également un moyen habile de
faire comprendre aux multitudes asservies combien, au fond elles sont
indispensables aux maîtres de l'heure grâce à leur grande surface de
consommation d'abord, et à leur importance dans le domaine de la production
ensuite. User " du droit de ne pas acheter" apparut aussitôt comme
une arme de défense très puissante et un procédé pratique et ingénieux pour s’imposer
au respect et obtenir l'abolition d'un régime oligarchique, fondé sur
l'inégalité et l'arbitraire. L'Inde fut le milieu où l'on fit l'expérience de
ces nouvelles formules et où l'on mit à l'épreuve les nouveaux moyens de
lutte;les autres pays asservis n'attendirent pas les résultats de l'essai;eux
aussi, à l'exemple du peuple hindou, lancèrent le mot d'ordre de " boycottage,
de non-coopération «et de résistance passive." Tel
fut le fil directeur de la philosophie politique à laquelle Tahar Sfar resta
fidèle durant toute sa courte vie et cela nous fera mieux comprendre les
attitudes et les choix de Tahar Sfar, aussi bien, pendant la crise de 1934-35
que pendant le drame de 1938 comme nous le verrons plus tard.
Dés l'été 1928, Tahar Sfar est de
retour en Tunisie , Habib Bourguiba l’avait précédé d’une année ,ils sont,
tous deux, déjà adhérents depuis les
dernières années de leurs études secondaires, comme simples militants au Parti dont
le programme politique et dont les
idées, du moins celles qui sont exprimées publiquement se rapprochent le plus
de leurs propres convictions. Ce parti était connu sous le nom de"
Destour" (constitution) il fut crée depuis l'année 1920 par notamment
A.Thâalbi.
C'est une grande aventure à la
fois exaltante et douloureuse qui commence pour Tahar Sfar rentrant au pays
avec une licence en droit (5 juillet 1928:matières à option sur lesquels il a
été interrogé:Droit Public, Droit International Public), deux certificats de
littérature et un premier Prix en sciences politiques qui constitue pour lui,
selon ses propres termes une sorte: "d'hommage que je rends à tous mes
professeurs."
Il nous dira dans son journal d'exil à Zarzis qu'il souhaite préparer
un doctorat ès-sciences juridiques et peut être même un doctorat ès-
lettres. Les contraintes de ses
activités politiques et surtout sa mort prématurée en 1942 empêchera la
réalisation de ces projets.
L'étudiant, qui rentre de France
pour se mettre au service de son pays n'a nullement la prétention de jouer au
héros, il se veut, tout simplement, homme parmi les hommes et continuateur,
respectueux et reconnaissant, des efforts de ceux qui l'ont précédé dans la
lutte nationale;mais sa devise était celle qu'on fait dire à Térence cet enfant
de Carthage du deuxième siècle avant J-C
"rien de ce qui est humain ne m'est étranger".
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